dimanche 18 octobre 2009

Acide sulfurique - Amélie Nothomb (extrait)


- J'ai vingt ans, j'essaie d'accumuler les expériences, dit-elle. Il ne faut pas avoir d'a priori sur "Concentration". D'ailleurs, moi je trouve qu'il ne faut jamais juger car qui sommes-nous pour juger? Quand j'aurai fini le tournage, dans un an, ça aura du sens d'en penser quelque chose. Là, non. Je sais qu'il y en a pour dire que ce n'est pas normal, ce qu'on fait aux gens, ici. Alors je pose cette question : c'est quoi, la normalité? C'est quoi, le bien, le mal? C'est culturel.

- Mais, kapo Zdena, intervint l'organisateur, aimeriez-vous subir ce que subissent les prisonniers?

- C'est malhonnête comme question. D'abord, les détenus, on ne sait pas ce qu'ils pensent, puisque les organisateurs ne leur demandent pas. Si ça se trouve, ils ne pensent rien.

- Quand on découpe un poisson vivant, il ne crie pas. En concluez-vous qu'il ne souffre pas, kapo Zdena?

- Elle est bonne, celle-là, je la retiendrai, dit-elle avec un gros sourire visant à provoquer l'adhésion. Vous savez, je pense que s'ils sont en prison, ce n'est pas pour rien. On dira ce qu'on voudra, je crois que ce n'est pas un hasard si on atterrit avec les faibles. Ce que je constate, c'est que moi, qui ne suis pas une chochotte, je suis du côté des forts. A l'école, c'était déjà comme ça. Dans la cour, il y avait le camp des fillettes et des minets : je n'ai jamais été parmi eux, j'étais avec les durs. Je n'ai jamais cherché à apitoyer, moi.

- Pensez-vous que les prisonniers tentent d'attirer sur eux la pitié?

- C'est clair. Ils ont le beau rôle.

- Très bien kapo Zdena. Merci pour votre sincérité.

Cet extrait illustre fort bien cette capacité incroyable que nous avons, nous les humains, à trouver le sens qui nous arrange pour toute chose.

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